Valeurs de fonds de commerce d’hôtellerie : entre mythes et réalités !

Dans le cadre des études ad hoc réalisées pour ses donneurs d’ordres, notre Cabinet IFC EXPERTISE Favre-Réguillon s’est tout particulièrement intéressé au secteur de l’hôtellerie et aux valorisations de fonds de commerce y pratiquées.

L’étude ici proposée s’attarde de façon probante, sinon statistique, sur les ratios effectifs en matière de cessions de fonds d’hôtellerie et ce, à l’échelle de l’ensemble du territoire français (compris DOM-TOM).

Ces ratios, issus d’une étude complète de près de 2.000 cessions à l’échelle de plus d’une décennie (2008–2019) apparaissent très éloignés des fourchettes préconisées de ci, de là dans différents ouvrages et autres publications web qui se contentent de les relayer, souvent proposées entre 200 à 400 % du CA HT. Les valeurs de fonds de commerce, issues du Bodacc, ont été croisées avec les données bilantielles des exploitations dont il est question.

S’il est un fait, statistique, que les cessions de fonds hôteliers peuvent quelquefois dépasser les 200-250 % du chiffre d’affaires hors taxes, ce n’est le plus souvent le cas qu’en région parisienne, sur les plus beaux emplacements, la Province concentrant la plus grande partie de ses mutations entre 50 et 150 % de la capacité productive.

En matière de cession de fonds, le commerce hôtelier est à part !

Et tout d’abord parce que les dispositions du Code de commerce qui le règlementent en matière de valeur locative de renouvellement de bail commercial dérogent aux règles classiques du commerce de détail. 

Ainsi sont exclus du champ d’application du plafonnement du loyer de renouvellement, sauf exception, les locaux construits en vue d’une seule utilisation (R. 145-10, Code com.), autrement qualifiés par la jurisprudence de « monovalent« [1]. La monovalence est, à l’origine, une invention législative qui devait être matériellement caractérisée par l’observation de locaux construits et aménagés en vue d’une exploitation unique.

Les hôtels sont donc classiquement considérés comme des biens « monovalents », tout comme le sont également les surfaces dédiées à l’exploitation des cliniques[2], les résidences-services[3], les halles[4], les cinémas[5], les salles de spectacles[6], les maisons de repos[7] voire les terrains consacrés à l’hôtellerie de plein air[8] (campings).

La monovalence est donc une cause de déplafonnement[9] d’office ainsi qu’un cadre de détermination du loyer de renouvellement qui déroge au régime général institué par les articles L. 145-33, 34 et R. 145-3 à 8 du Code de commerce.

Il en découle, pour les hôtels et par l’inexistence d’une économie de loyer, l’absence de « droit au bail », entendu sous sa forme pécuniaire.

Les autres composantes du fonds de commerce, de nature incorporelle (l’enseigne, le nom commercial, la clientèle, l’achalandage, les brevets d’invention, les licences et marques, les dessins, modèles industriels ou droits de propriété intellectuelle et le droit au bail sous sa forme contractuelle, cf. art. L. 141-5 et L. 142-2, Code com.) sont conservées, tout comme celles corporelles (les marchandises, le mobilier commercial, le matériel et l’outillage, cf. art. L. 141-5 et L. 142-2, Code com.).

EN SAVOIR PLUS SUR LE DROIT AU BAIL

Outre ce point particulier, qui revêt toutefois une importance pécuniaire certaine, l’estimation d’un établissement hôtelier[10] ne présente pas, au regard des usages, de difficulté particulière et pour ce faire, l’emploi des barèmes,[11] [12] notamment sur la base des chiffres d’affaires hors taxes[13] a été notamment consacré par moult décisions judiciaires.

Pour autant, ce type de fonds, particulier comme souligné en introduction , peut :

  • Soit réunir les trois branches d’activités habituelles : hôtel (1), café (2) et restaurant (3),
  • Soit limiter son exploitation à la stricte destination hôtelière (1),
  • Soit coupler certaines branches pour exclure la dernière (hôtel (1) et restaurant (3), sans café (2) ou encore hôtel (1) et café (2), sans restaurant (3).

Dès lors, l’évaluation distingue chacune des branches d’activités pour les additionner, sauf à employer toute pondération de surface jugée opportune. Il convient d’être vigilant en présence d’actifs vieillissants, et identifier dans quelles proportions le chiffre d’affaires global est réalisé pour chacune des activités. L’exclusion d’une branche pour absence d’activité effective est possible. 

En l’espèce, l’emploi de barèmes aux fourchettes d’appréciation trop larges, a pu être vivement critiqué voire être qualifié de simpliste par certains auteurs[14], privilégiant une approche par l’excèdent brut d’exploitation (EBE)[15] [16], qui reste un bon indicateur de la ressource générée par l’exploitation de l’hôtel et ce, indépendamment de la politique d’investissement de l’hôtelier.

CONTACTER UN EXPERT

Les établissements hôteliers sont codifiés par l’INSEE sous le code NAF :

5510Z | Hôtels et hébergement similaire

Cette sous-classe de la Nomenclature des Activités Françaises (NAF) comprend : « La mise à disposition d’un lieu d’hébergement (hôtels et hébergement similaire), généralement sur une base journalière ou hebdomadaire, pour un séjour de courte durée. L’offre comprend la fourniture d’un hébergement meublé dans des chambres ou des suites. Elle propose obligatoirement un service quotidien des lits et de nettoyage de la chambre. Cette offre peut comprendre également une gamme d’autres services tels que repas et boissons, garage, blanchisserie ».

1200HOTEL

Le marché des cessions

Un nombre de vente stable… 

A la suite de la crise économique de 2008, le nombre de cessions de fonds de commerce d’établissements hôteliers en France a brutalement chuté pour passer de plus de 1.200 mutations annuelles (2008) à une moyenne de près de 900 ventes annuelles (source Bodacc.fr) sur la période d’étude et un peu moins de 900 en 2019.

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Pourtant, depuis 2017, le nombre de cessions de fonds de commerce semblait repartir sur une dynamique légèrement haussière. La valeur médiane des cessions est stable depuis 2008 et suit une tendance semblable à l’inflation. Il sera – malheureusement – intéressant de mesurer, dans les mois et années à venir, l’impact probablement notable du confinement et des mesures sanitaires imposées pour limiter la propagation du virus Covid-19.

Mais des disparités qui se creusent

Toutefois, de grandes disparités se creusent. L’écart entre la médiane et les 10 % des valeurs de cessions les plus importantes n’a jamais été aussi marqué, comme en atteste le graphique ci-après.

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Les valeurs de fonds de commerce

Valorisation par un multiple de l’EBE

Concernant l’approche en valorisation de fonds de commerce avec emploi d’un multiple de l’EBE, la moyenne est observée stable depuis 2013 : les cessions se réalisent en moyenne pour 12,9 fois l’EBE. Cependant, cette moyenne est tirée par des valeurs extrêmes, à savoir que 5 % des cessions ont été réalisées à plus de 45 fois l’EBE.

evolution des prix de cessions des fonds de commerce des hotels en multiples ebe

La médiane, plus représentative en matière d’hôtellerie traditionnelle car il s’agit là d’un secteur extrêmement disparate, se situe à 8,2 fois l’EBE (50 % des cessions sont donc supérieures à cette valeur et 50 % lui sont inférieures).

Logo comment évaluer un fonds de commerce ?

Enfin, la moitié des transactions s’est effectuée entre 4,8 et 15 fois l’EBE, soit un prix de cession final qui peut être multiplié par un facteur 3 d’un établissement à l’autre.

evolution des prix de cessions des fonds de commerce des hotels en multiples ebe dispersion

Valorisation par un pourcentage du CA

L’approche en valorisation de fonds de commerce par le pourcentage prédéterminé du chiffre d’affaires est sur une tendance baissière depuis 2013.

Entre 2009 et 2018, les cessions d’hôtels se sont opérées au niveau national, en moyenne, pour 116 % du chiffre d’affaires hors taxes. Cependant, sur la période 2013 – 2018, cette moyenne, là aussi en baisse, est observée légèrement supérieure à 100 %.

evolution des prix de cessions des fonds de commerce des hotels en pourcentage chiffre affaires

La médiane se situe quant à elle à 85,9 % du chiffre d’affaires entre 2009 et 2018 et chute à 78,5 % depuis 2013.

La dispersion mathématique est également relativement importante puisque 50 % des ventes se réalisent entre près de 50 % et 150 % du chiffre d’affaires hors taxes, soit un prix de cession du fonds de commerce qui peut également être multiplié par 3 dans cet intervalle interquartiles.

evolution des prix de cessions des fonds de commerce des hotels en pourcentage chiffre affaires dispersion

Les cartographies

Des valeurs de cessions à relativiser selon les régions

Paris, le quart Sud-Est et les départements côtiers sont les zones géographiques qui affichent, sans réelle surprise, le plus grand nombre de cessions de fonds de commerce en matière d’hôtellerie. Dans ces départements, il est relevé en moyenne plus de 20 cessions annuelles, jusqu’à 50 dans le Sud-Est et 90 à Paris.

cartographie des cessions de fonds de commerce france entiere

CONTACTER UN EXPERT

Le montant de cession du fonds de commerce est fortement dépendant de la zone géographique. Les prix sont nettement plus élevés en région parisienne pour 263 % du chiffre d’affaires (HT) en moyenne et sur les régions littorales, souvent pour plus de 125 %.

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L’analyse est la même concernant la valorisation avec emploi d’un multiple de l’EBE : la proximité avec le littoral semble augmenter le prix de cession d’un établissement hôtelier.

cartographie des prix de cessions de fonds de commerce france entiere en multiples ebe

Paris : un cas à part ?

Enfin, Paris, 1ère destination touristique mondiale se distingue des autres départements français par une distribution en matière de multiples de l’EBE et de pourcentage de chiffre d’affaires logiquement différente.

En effet, alors que la plupart des cessions se réalisent sur la base de multiples de l’EBE inférieurs à 25 en province, il est assez courant d’observer des ventes comprises entre 25 et 60 fois l’EBE, sur la capitale.

distribution en multiples ebe prix de cessions des fonds de commerce hotellerie ifc expertise experts en propriete commerciale

Cette particularité est d’autant plus marquée en matière de valorisation par un pourcentage du chiffre d’affaires pour lequel la plupart des cessions sont opérées entre 0 % et 150 % en province alors que les ventes supérieures à 250 % du chiffre d’affaires représentent une part importante des cessions à Paris.

Ce pourquoi, il est essentiel en matière expertale de s’éloigner des dangereuses affirmations souvent trop généralistes ainsi que des études réalisées sur le seul secteur de la capitale, très éloignées des réalités provinciales.

distribution en pourcentages chiffre affaires prix de cessions des fonds de commerce hotellerie ifc expertise experts en propriete commerciale

La synthèse

Le présente étude fait donc apparaitre, en conclusion et à l’appui des statistiques étudiées, les ratios qui suivent. Étant précisé, qu’il est identifié, outre les ratios courants, consacrés par les « usages de la profession » (L. 145-14, Code com.) en % moyen du chiffre d’affaires hors taxes et en multiple moyen de l’excédent brut d’exploitation (EBE), les intervalles interquartiles qui concentrent donc 50 % des cessions (Nota : entre Q1 et Q3). Cette approche, statistique, permet de pallier aux défauts des fourchettes sinon « râteaux » proposés dans certaines publications.

VALORISATION EN % DU CA HT VALORISATION PAR UN MULTIPLE DE L’EBE
% Moyen du CA HT 50 % des cessions de fonds sont comprises entre : Multiple Moyen de l’EBE 50 % des cessions de fonds sont comprises entre :
Q1 Q3 Q1 Q3
115,45 % 46,94 % 145,98 % 12,83 Mult. 4,74 Mult. 15,02 Mult.

 

Notre Cabinet IFC EXPERTISE Favre-Réguillon se tient à votre disposition pour échanger sur toute problématique relative à l’évaluation des fonds de commerce, des fonds d’industrie et des fonds d’artisanat.

DEMANDE DE DEVIS

   

[1] Notamment : Cass. 3ème Civ., 21 mai 2014, n°13-12.592, Publié au bulletin ; Cass. 3ème Civ., 20 janvier 2010, n°08-20.641, Inédit ; Cour d’appel de Toulouse, 13 mars 2007, n° 06/01068

[2] Cass. 3ème Civ., 21 juillet 1981, n°80-12.978, Gaz. Pal. 1982, p.87 ; Cass. 3ème Civ., 30 octobre 2007, n°06-18.335, RJDA 2/08, n°107

[3] TGI de Lyon, 12 novembre 2019, n°17/00037, concernant une résidence étudiante

[4] Cour d’appel de Rennes, 6 juin 2012, n°10/09268

[5] Cour d’appel de Paris, 29 janvier 2003, n°01-984, Gaz. Pal. 2003, p.19 ; Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 15 septembre 2015, n°14/00361 : « Qu’en effet, un cinéma est un local monovalent compte tenu de sa spécificité structurelle comme une salle en gradins notamment, et des normes qui lui sont applicables, excluant tout changement d’affectation sans travaux extrêmement importants »

[6] Cour d’appel de Paris, 8 janvier 1999, n°96-20994, Loy et copr. 1999, comm, n°125

[7] Cass. 3ème Civ., 10 février 1981, n°79-13.984, s’agissant là « du prix du bail renouvelé d’une ancienne maison de campagne aménagée en maison de repos (…), l’arrêt ayant retenu (…) qu’une maison de ce genre était un établissement dont la transformation nécessiterait des travaux considérables » et que de facto, le bien avait été aménagé en vue d’une seule utilisation

[8] TGI de Toulouse, 10 septembre 2013, n°11/04404, « Le terrain donné à bail a les caractéristiques d’une hôtellerie en plein air et doit être qualifié de local monovalent au sens de l’article R. 145-10 du code de commerce. Dès lors le loyer de renouvellement est déterminé selon les usages observés dans la branche d’activité considérée » ; Cour d’appel de Montpellier, 1ère ch., 6 avril 2011, n°10/04052 ; Cour d’appel de Montpellier, 6 novembre 2018, n°16/01030 : « la méthode hôtelière appliquée à la spécificité des campings est donc bien adaptée en l’espèce » ; Cour d’appel de Montpellier, 8 mars 2016, n°12/06203 : « il convient donc de se référer pour la fixation du loyer aux usages particuliers et habituellement pratiqués dans les cas de terrains édifiés en vue de leur seule utilisation à usage de campings. Or, en la matière, c’est la méthode hôtelière qui apporte le calcul le plus précis et le plus objectif » ; TGI de Toulouse, 10 septembre 2013, n°11/04404 : « Le terrain donné à bail a les caractéristiques d’une hôtellerie en plein air et doit être qualifié de local monovalent au sens de l’article R. 145-10 du code de commerce. Dès lors, le loyer de renouvellement est déterminé selon les usages observés dans la branche d’activité considéré »

[9] Cass. 3ème Civ., 3 mai 1978, n°77-12.007, cassation d’un arrêt qui avait pris en compte la valeur locative alors que le caractère monovalent du local nécessitait d’en recourir aux usages observés dans la branche d’activités

[10] Arrêté du 31 janvier 2020, JORF n°0027 du 1er février 2020 concernant la modification des sous-destinations des constructions en matière hôtelière

[11] « Évaluation des fonds de commerce » par Jacques FERBOS et Guy LACROIX, Éditions de l’actualité juridique et Éditions de Moniteur industriel et économique, 1961, p.261 qui citaient déjà pour les hôtels une fourchette d’appréciation comprise entre 2,5 et 4 fois le chiffre d’affaires moyen annuel (matériel compris). Le présent ratio n’a guère évolué depuis sauf à être converti en pourcentages ; Cour d’appel de Rennes, 21 octobre 2015, n°12/07936, ch. 05

[12] Cour d’appel de Paris, 3 juillet 2019, n°17/18962 ; Cour d’appel de Chambéry, 1ère chambre, 20 mars 2018, n°14/00392 ; Cour d’appel de Paris, 12 décembre 2019, n°18/14289

[13] TGI de Lyon, 15 octobre 2019, n°15/01555

[14] « Fonds de commerce d’hôtel : approche des valeurs négociées sur le marché » par Laurent VIOLLET, AJDI 2001, p.1068, faisant également état de coefficients multiplicateurs variant de 2 à 3, voire 4 et même 5 selon les périodes d’euphorie ou de turbulence

[15] Ibid supra, l’auteur faisant état de multiplicateurs variant généralement de 7 à 10

[16] Cour d’appel de Chambéry, 1ère chambre, 4 décembre 2018, n°17/00978, privilégiant la méthode par l’EBE, au détriment des barèmes professionnels jugés inadaptés, pour la valorisation d’un lot compris dans une résidence de tourisme